« L’accélération du travail ne semble pas conférer d’avantage pour la santé maternelle et néonatale (…), en comparaison avec le suivi du rythme naturel du travail. »
Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, Gouvernement du Québec, septembre 2012, Mesures prometteuses pour diminuer le recours aux interventions obstétricales évitables pour les femmes à faible risque, ETMIS 2012 ; Vol. 8 : No 14
J’ai été témoin dernièrement de deux accouchements, qui se sont déroulés entièrement avec administration continue et à doses croissantes de l’hormone ocytocine de synthèse, le produit qu’on appelait auparavant Pitocin et qu’on connaît au Québec sous le nom de Syntocinon. Aux États-Unis, en 2002, plus de la moitié des femmes ont vu leur travail accéléré par de l’ocytocine artificielle administrée par intraveineuse. Qu’en est-il au Canada ? Voici un tableau des taux d’interventions les plus récents, selon une étude récente :
TAUX D’INTERVENTIONS – ENQUÊTE SUR L’EXPÉRIENCE DE LA MATERNITÉ – CANADA – 2006
Intervention |
Canada |
Québec |
Péridurale |
57,3 % |
66,7 % |
Épisiotomie |
20,7 % |
24,1 % |
Réparation déchirures périnée |
64,1 % |
71,3 % |
Déclenchement du travail |
44,8 % |
46,5 % |
Stimulation artificielle du travail |
37,3 % |
40,6 % |
Rasage de la vulve |
19,1 % |
12,1 % |
Lavement |
5,4 % |
6,2 % |
Forte poussée sur l’abdomen (manoeuvre de Kristeller) |
15,0 % |
13,5 % |
MFÉ continu |
62,9 % |
66,9 % |
MFÉ à l’admission |
5,2 % |
4,7 % |
Accoucher couchée |
47,9 % |
57,2 % |
Accoucher les pieds dans les étriers |
57 % |
73.4 % |
Chalmers, B., Kaczorowski, J., Levitt, C., et al. 2009. « Use of Routine Interventions in Vaginal Labor and Birth : Findings from the Maternity Experiences Survey », Birth, 36(1) :13-25. Tableau Comparison of Guidelines and Evidence with Respect to Interventions, p. 15 et 16. La traduction est de moi.
Vous me direz « il y a des raisons pour qu’on administre du Synto à des femmes en travail ». Oui, il y en a, et parfois c’est un ‘coup de pouce’ qui s’avère nécessaire. Mais que 40 % des Québécoises aient besoin que leur travail soit stimulé ? Qu’elles soient « syntonisées » à ce point ? (et comme les données datent de 2006, c’est pas mal sûr qu’il y a beaucoup plus de femmes à l’heure actuelle dont le travail est stimulé). Le corps des femmes serait inadéquat au point qu’on doive aussi souvent l’ « aider » à accoucher ?
Une intervention obstétricale majeure (l’OMS)
L’OMS souligne dans son document sur les soins pour l’accouchement que l’accélération artificielle du travail « est une intervention majeure et devrait être utilisée uniquement pour des raisons médicales valides… et uniquement là où on peut faire des césariennes d’urgence en cas de nécessité », ajoutant qu’elle doit s’accompagner du monitoring continu du rythme cardiaque du bébé.
L’administration artificielle d’ocytocine pendant le travail a plusieurs effets. Elle stimule les contractions, de sorte qu’elles deviennent conformes à ce qui est en train de devenir la norme en obstétrique : plus fortes, plus fréquentes, plus longues, ce qui accélérerait le travail. Pour les femmes, cela signifie des contractions plus difficiles à ‘gérer’, car elles sont beaucoup plus douloureuses. Et s’ensuit souvent une spirale d’interventions : administration d’une péridurale ou de narcotiques (le fameux ‘calmant’), avec tout ce qui va avec : immobilité ou réduction de la mobilité, interdiction de manger, ralentissement possible du travail, accroissement des doses du médicament, poussée plus difficile, recours plus fréquent au forceps ou à la ventouse, sans compter l’ augmentation des risques pour le bébé et la mère de ces médicaments.
En stimulant le travail, on vise à obtenir des contractions qui reviendraient chaque 2 ou 3 minutes (l’OMS suggère une contraction aux trois minutes, mais ce qui arrive en réalité avec la stimulation c’est qu’elles sont parfois même plus fréquentes que cela), d’une durée d’au moins 45 à 60 secondes. Or une femme peut très bien accoucher en ayant de bonnes contractions aux 5 minutes, plus faciles à gérer, et laissant plus de temps de récupération et relaxation entre celles-ci. C’est ce que me disait une infirmière, lors d’un accouchement « oh, elles accoucheraient pareil, ce serait juste un peu plus long ».
Les effets négatifs dont on ne parle pas aux femmes
Vous me direz « oui, mais c’est bon, que le travail soit plus court ». Peut-être, mais si c’est plus douloureux, le veut-on vraiment ? Pour une couple d’heures de moins ? Et quels sont les effets négatifs possibles de la stimulation artificielle du travail, qu’on tait aux femmes ? (à l’accouchement dont j’ai été récemment témoin, l’infirmière a répondu aux parents que cela n’avait aucun effet sur le bébé !). L’effet négatif principal pour le bébé est l’altération ou le ralentissement possible de son rythme cardiaque (possiblement par la diminution d’oxygène, selon la recherche scientifique). Ceci est non seulement inquiétant, et se manifeste aussi par la présence accrue de méconium dans le liquide amniotique, mais cela peut entraîner une césarienne pour détresse fœtale. Ce risque peut être augmenté si en plus on a aussi rompu la poche des eaux. L’ocytocine artificielle pourrait aussi accroître le risque de jaunisse. L’OMS est consciente des risques, puisqu’elle souligne qu’une femme sous ocytocine ne devrait jamais être laissée seule.
Vous me direz aussi « oui, mais c’est pareil que l’ocytocine naturelle que notre corps produit ? », comme l’infirmière citée plus haut le suggérait « le Synto c’est comme l’ocytocine que ton corps produit ». Eh bien non, cela n’a pas les mêmes effets. En effet, l’ocytocine naturelle favorise l’attachement – on l’appelle d’ailleurs « l’hormone de l’amour » – mais il se pourrait que l’ocytocine artificielle nuise à la circulation d’ocytocine naturelle durant le travail, et que cela réduise la circulation d’autres hormones, les endorphines, qui aident à contrer la douleur des contractions. Enfin, en stimulant à ce point l’utérus sans relâche, cela accroît non seulement le risque d’hypertonie de l’utérus, mais aussi qu’il ait de la difficulté à reprendre sa forme, après l’accouchement, augmentant par le fait même le risque d’hémorragie. Et pour l’AVAC, il se pourrait que le recours à l’ocytocine accroisse le risque de rupture utérine. Dit-on tout cela aux femmes, lorsqu’on leur propose ‘une petite dose seulement’ de Synto, pendant leur travail ?
Comment prévenir la stimulation du travail ?
Toutes les mesures favorisant la descente du bébé, le déroulement physiologique de l’accouchement, en particulier la mobilité, le changement fréquent de position pendant le travail, la conservation de son énergie (se nourrir, s’hydrater), un environnement propice (le même en fait que lors de la conception du bébé !, pénombre, tranquillité, intimité) favorisent le travail, diminuant la possibilité qu’il faille le stimuler artificiellement.
Et les recherches indiquent que la présence d’une accompagnante durant le travail, ainsi que le recours à l’hypnose réduiraient la fréquence de stimulation du travail à l’ocytocine artificielle. Par exemple, l’hypnose pendant le travail aurait les bénéfices suivants : réduction du besoin d’analgésie, douleur éprouvée moins grande, satisfaction plus grande des femmes quant au soulagement de la douleur, travail plus court, moins de stimulation du travail à l’ocytocine et augmentation du nombre d’accouchements spontanés (sans forceps ni ventouse). Les effets de la présence d’une accompagnante sur l’accouchement sont nombreux et importants : réduction de la durée du travail, diminution du recours aux médicaments analgésiques et anesthésiants, baisse des taux d’accouchements aux instruments (forceps ou ventouse), des taux de césariennes, moins d’ocytocine pour stimuler le travail.
Sait-on aussi que l’accélération du travail est rémunérée (supplément de 120 $), lorsqu’un spécialiste est consulté pour la prescrire, comme en fait foi le code 06940 suivant de la RAMQ :
Consultation auprès d’une patiente en travail au premier ou deuxième stade chez laquelle est(sont) pratiqué(s) un ou plusieurs des procédés suivants: l’échographie, la stimulation du travail, la rupture des membranes (…)
D’autres effets : un choix non éclairé, une perte de pouvoir et une baisse d’estime de soi
Vous me direz aussi, si des contractions plus difficiles à gérer ne sont pas un problème pour vous, et que vous préfériez voir votre travail raccourci un peu en échange : « Et puis après ? » Et bien, ce qui m’apparaît crucial, dans l’épidémie d’accélération artificielle du travail à laquelle on assiste depuis au moins deux décennies : les femmes ne font pas un choix éclairé, et elles n’accouchent plus elles-mêmes, avec leurs propres hormones et leur propre pouvoir. Elles ne font pas un choix éclairé car on ne leur dit pas tout ce qu’implique l’administration d’ocytocine artificielle pendant le travail, et on tait trop souvent aussi les alternatives possibles. Essentiellement, les intervenants – médecins, infirmières et parfois aussi sages-femmes, comme j’en ai été témoin lors du premier accouchement dont il est question dans cette chronique – ont perdu confiance dans les capacités de celles-ci à accoucher, en ayant une image idéale des contractions productives sans lesquelles ‘on ne peut’ accoucher. C’est la technique – ici un médicament – qui est supérieure au corps féminin pour faire le travail, tel qu’entendu récemment à l’un des accouchements que j’ai observés « il n’y a que des contractions suffisamment fortes pour faire descendre ton bébé, et on ne peut te donner ça qu’en augmentant le Synto ». Et si, au lieu d’augmenter le Synto sans arrêt, on avait alors cessé de le faire, et on avait même diminué la dose du médicament – en d’autres mots, si on avait été patients, et qu’on avait exploré les peurs chez cette femme qui peut-être jouaient un rôle dans le fait que, sans le vouloir bien sûr, elle ‘retenait’ son bébé – que serait-il arrivé ? Peut-être que celle-ci, au lieu de réclamer alors une péridurale, devant la perspective d’avoir encore plus de Synto et car la douleur s’en venait insoutenable, aurait accouché d’elle-même, sans médicaments, mais un peu plus tard ? Qu’est-ce que cela fait à l’estime de soi de tant de femmes d’avoir l’impression que leur utérus ne produit pas de contractions ‘satisfaisantes’ aux yeux du système médical et qu’elles ne réussissent pas à accoucher sans aide (médicaments et autres interventions) ?
Quand en obstétrique commencera-t-on à s’attaquer à cette épidémie incapacitante, l’accélération artificielle du travail ?